Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe

Comité permanent

Recommandation n° 17 (1989) du comité permanent relative a la protection du loup (Canis Lupus)
en Europe

(adoptée par le Comité permanent le 8 décembre1989)

            Le Comité permanent de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, agissant en vertu de l’article 14 de la convention,

            Eu égard aux objectifs de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, qui visent à préserver la flore et la faune sauvages et leurs habitats naturels ;

            Considérant le loup gris (Canis lupus) (ci-après dénommé « loup ») comme élément fondamental du patrimoine naturel européen en raison de sa valeur symbolique, scientifique, écologique, éducative, culturelle, récréative, esthétique et intrinsèque ;

            Rappelant qu’aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la convention, les Parties contractantes accordent une attention particulière à la conservation des espèces menacées d’extinction et vulnérables ;

Rappelant que le loup fait partie des espèces strictement protégées reprises dans la liste de l’annexe II de la convention ;

            Observant que le loup est gravement menacé dans toute l’Europe occidentale, qu’il a disparu du territoire de nombreuses Parties contractantes et se trouve réduit à d’infimes populations dans plusieurs autres ;

            Constatant que la perte des habitats, la disparition des proies et la persécution par l’homme sont les causes principales de son extinction (ou de la diminution considérable de sa population) en Europe occidentale ;

            Conscient que le loup est une espèce dont la présence peut, dans certaines circonstances, porter préjudice aux activités humaines ;

            Rappelant que sur les huit Parties contractantes dont le territoire abrite des loups, trois ont émis des réserves aux termes de l’article 22 de la convention, ce qui signifie concrètement que les plus importantes populations de loups en Europe occidentale ne bénéficient pas de la protection accordée par l’article 6 de la convention ;

            Rappelant qu’en Grèce et en Turquie le loup est classé parmi les espèces nuisibles ;

            Se référant au rapport sur le statut et la conservation du loup (Canis lupus) dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,

A.        Recommande aux Parties contractantes :

1.         D’élaborer des plans de gestion pour l’espèce en vue d’assurer des populations viables de taille appropriée ;

2.         De favoriser, pour éviter des conflits, l’élaboration de mesures destinées à prévenir les attaques de bétail par les loups en encourageant par exemple les gardiens de troupeaux à enfermer le bétail la nuit, à installer des clôtures électriques ou à utiliser des chiens ; d’encourager la préservation et le dressage de races locales de chiens de berger ;

3.         De créer, là où il n’y en a pas, des systèmes de compensation pour les dommages causés par les loups au bétail et aux animaux de ferme et d’améliorer le mode de paiement des indemnités par les systèmes existants, par exemple en simplifiant et en accélérant les procédures, et en augmentant, si nécessaire, les sommes versées ;

4.         D’envisager la mise au point de systèmes généraux d’assurance pour les dommages causés par les loups et de financement des travaux nécessaires pour prévenir de tels dommages ;

5.         De promouvoir la création de fonds qui serviraient à financer les travaux de conservation, à payer des indemnités pour les dommages causés par les loups et à assurer le développement socio-économique dans les zones importantes pour le loup ;

6.         D’envisager, dans les zones importantes pour le loup, le renforcement et éventuellement la réintroduction des ongulés sauvages qui serviraient de proies à la place du bétail ; de faciliter le cas échéant la coopération avec d’autres Parties contractantes pour assurer cette réintroduction ;

7.         De veiller à une application plus stricte de l’interdiction de recourir au poison, aux appâts empoisonnés ou anesthésiants et à tout autre moyen non sélectif de mise à mort, en assurant une surveillance appropriée, en sanctionnant plus sévèrement les infractions et en diffusant les informations nécessaires relatives aux effets du poison sur la vie sauvage ;

8.         D’assurer le marquage et le registre des loups élevés en captivité ;

9.         D’élaborer et de mettre en oeuvre des plans pour l’élimination des chiens errants et sauvages ; d’encourager les recherches sur la biologie de ces chiens ;

10.       D’évaluer l’impact sur les populations de loups des projets de travaux publics, de reboisement, d’exploitation touristique ou d’autres aménagements dans les zones reconnues importantes pour les loups ;

11.       De lancer des campagnes de sensibilisation s’adressant aux populations rurales de zones où le loup est présent et à d’autres groupes cibles (chasseurs, écoliers, décideurs), et de soutenir activement les groupes privés déjà engagés dans de telles campagnes ;

12.       D’encourager la recherche sur tous les aspects de la biologie du loup afin de permettre une gestion plus efficace de ses populations, et, notamment, d’en suivre la taille, les caractéristiques biologiques, la répartition géographique, et le mode de dissémination de ses populations ;

13.       D’envisager des programmes d’élevage en captivité et de repeuplement dans les zones où l’espèce a disparu ou est menacée d’extinction ; d’effectuer les études génétiques nécessaires afin de parer aux éventuels effets négatifs de l’introduction d’individus provenant de souches génétiquement différentes ;

14.       De tenir compte, dans leurs politiques de gestion des loups, des principes et des suggestions renfermées dans le Manifeste et directives relatives à la conservation des loups préparé par le Groupe d’experts sur le loup de l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (UICN), et annexé à la présente recommandation ;

15.       D’établir, à des fins de recherche scientifique ou de conservation, des contacts bilatéraux ou multilatéraux avec d’autres Etats et des organismes et agences pour la conservation, y compris ceux qui sortiraient du cadre de la présente convention ;

  

B.        Recommande aux Parties contractantes qui ont formulé des réserves à l’égard de cette espèce au sens de l’article 22 de la convention ou qui font des dérogations au sens de l’article 9 de la convention ;

1.         D’identifier sur leur territoire les zones se prêtant le mieux à la conservation du loup, en distinguant essentiellement trois types de zones :

a. les zones où le loup bénéficierait d’une protection totale ;

b. les zones où des prélèvements de quelques loups sélectionnés pourraient se faire selon un plan de gestion ;

c. les zones où la chasse au loup serait soumise aux seules restrictions imposées par la réglementation générale de la chasse ;

2.         D’assurer au loup une pleine protection juridique ou de veiller à l’application des mesures existantes de protection dans les zones mentionnées au paragraphe 1, alinéa a ci-dessus ;

  

C.        Recommande à la Finlande, à la Norvège et la Suède :

            De poursuivre et de renforcer leurs efforts actuels de coordination de la conservation et de la recherche sur le loup, et d’envisager la nécessité et les possibilités de coordonner, dans le cadre de la convention, leurs plans et leurs stratégies de gestion des populations de loups en Finlande, en Norvège et en Suède ;

  

D.        Recommande à la Grèce :

1.         De retirer le loup de la liste des espèces nuisibles ;

2.         De dresser en priorité des inventaires détaillés des populations de loups en Grèce ;

3.         D’élaborer un plan national de gestion de l’espèce, et donc de mettre en oeuvre des mesures adéquates de protection du loup ;

4.         De rechercher des échanges d’informations sur les plans de gestion des populations de loups au sein de la péninsule des Balkans, là où ils s’avèrent appropriés ;

  

E.         Recommande à l’Italie :

1.         De mettre en oeuvre une stratégie nationale de conservation de l’espèce ;

2.         De faire respecter l’interdiction de posséder en captivité des individus de toute sous-espèce de Canis lupus et de les libérer dans la nature ;

3.         De poursuivre et d’améliorer le programme de reproduction en captivité actuellement en cours ;

F.         Recommande au Portugal et à l’Espagne :

            D’examiner la nécessité et la possibilité d’élaborer en commun, dans le cadre de la convention, un plan de gestion de la population du loup ibérique (Canis lupus signatus) ;

  

G.        Recommande à la Turquie :

1.         De retirer le loup de la liste des espèces nuisibles ;

2.         De dresser en priorité des inventaires détaillés des populations de loups en Turquie ;

H.        Recommande également aux Parties contractantes, chez lesquelles le loup a disparu, de soutenir activement la conservation de cette espèce, en particulier en informant l’opinion publique, en soutenant la recherche dans les zones actuelles de distribution, en étudiant les possibilités de le réintroduire, et en collaborant avec les Etats où le loup subsiste ;

I.          Invite la France à assurer la protection juridique totale du loup, en particulier pour les individus qui pourraient immigrer d’un pays voisin ;

J.         Décide d’encourager les Parties contractantes à transmettre régulièrement au Secrétariat les informations sur leurs populations de loups et/ou leurs programmes de recherche sur l’espèce en vue de permettre en 1992 l’évaluation du statut du loup en Europe lors d’une seconde réunion du groupe d’experts.


Annexe à la recommandation

Manifeste et directives sur la conservation du loup

du Groupe d’experts sur le loup

de l’Union internationale pour la conservation de la nature

et des ressources naturelles

Manifeste

Enoncé de principes relatifs à la conservation des loups

1.         Les loups, comme toutes les autres espèces sauvages, ont le droit d’exister à l’état sauvage. Ce droit ne découle en aucune façon de l’intérêt que porte l’homme à ces animaux, mais procède du droit de toute créature vivante de coexister avec l’homme dans le cadre des écosystèmes naturels.

2.         La meute de loups est une organisation sociale unique très développée. Le loup est un des prédateurs mammifères les plus adaptables et les plus importants, que l’on retrouve dans de nombreuses régions du monde. Il a été, et reste dans certains cas, le plus important prédateur de gibier de l’hémisphère nord. A ce titre, il a indubitablement joué un rôle important dans l’évolution des espèces de gibier et a contribué notamment à forger les caractéristiques qui constituent leur attrait.

3.         Les populations de loups se sont peu à peu différenciées en sous-espèces qui sont génétiquement adaptées aux différents types d’environnement. Il est capital que ces populations locales soient maintenues à l’état sauvage dans leur milieu naturel. Le respect de la pureté génétique des races localement adaptées incombe aussi bien aux organismes qui envisagent de réintroduire les loups dans la nature qu’aux jardins zoologiques qui pourvoient à ces réintroductions.

4.         De tout temps, l’homme a considéré le loup comme indésirable et a cherché à l’exterminer. Dans plus de la moitié des pays du monde où existait cette espèce, l’homme a pratiquement réussi dans cette entreprise.

5.         Cette aversion à l’égard du loup est fondée d’abord sur la crainte qu’inspire cet animal, prédateur de l’homme, et ensuite sur les ravages qu’il exerce dans le bétail domestique et parmi les grands animaux sauvages. Une analyse plus poussée révèle que dans une grande mesure, la première de ces peurs est fondée sur un mythe plutôt que sur la réalité. Il est bien évident désormais que le loup ne peut être considéré comme une menace sérieuse pour l’homme. Il est vrai toutefois que le loup a été, et est toujours dans certains cas, un prédateur important pour le bétail domestique et pour les espèces sauvages.

6.         La réaction de l’homme, tant sur le plan individuel qu’au niveau des gouvernements, a été de chercher à exterminer le loup ; situation d’autant plus regrettable que des programmes de gestion peuvent désormais être élaborés, qui résoudraient de nombreux problèmes tout en permettant aux loups de vivre dans de nombreuses régions du monde où leur présence serait acceptable.

7.         Quand une réduction des populations de loups est nécessaire, elle doit résulter d’une gestion scientifique strictement contrôlée ; les méthodes doivent être sélectives, hautement spécifiques, limitées dans le temps, et doivent entraîner un minimum d’effets secondaires sur les autres espèces de l’écosystème.

8.         Des modifications majeures de l’environnement induites par le développement économique peuvent avoir de graves conséquences sur la survivance des loups et de leurs proies dans les zones où l’espèce subsiste. La législation et les mesures d’aménagement du territoire de toute région doivent prendre en compte l’importance et le statut de l’espèce.

9.         La connaissance scientifique du rôle que joue le loup dans l’écosystème est insuffisante dans la plupart des pays où l’on trouve cette espèce. La gestion devrait être uniquement fondée sur une base scientifique solide, en fonction des données internationales, nationales et régionales. Toutefois, l’état actuel des connaissances est insuffisant pour mettre au point des programmes préliminaires de conservation et de gestion de l’espèce.

10.       La société peut être amenée à supporter le coût éventuel du maintien des loups dans certaines régions et à indemniser par exemple la perte de bétail ; inversement, dans les régions à vocation essentiellement agricole, il n’est pas souhaitable de maintenir des loups ou de chercher à les réintroduire.

11.       Dans certaines régions, on note dans la population un changement total d’attitude à l’égard des loups. Ceci a amené les gouvernements à réviser, voire à éliminer des lois archaïques. L’on sait qu’il est essentiel pour la survie de cette espèce de décrire de façon réaliste le rôle que joue le loup dans l’environnement.

12.       Il convient de prendre en compte l’ensemble des facteurs socio-économiques, écologiques et politiques, et de trouver des solutions avant de réintroduire le loup dans les régions biologiquement adaptées d'où il a disparu.

Directives

Nous recommandons les directives suivantes pour les actions de conservation du loup.

A.        Généralités

1.         Dans les régions ou pays où les loups sont menacés d’extinction, il convient d’accorder une protection totale à la population survivante. (Ces cas seront consignés dans un Livre rouge, ou feront l’objet d’une déclaration gouvernementale).

2.         Chaque pays définira dans son territoire des régions adaptées à l’existence des loups et adoptera en conséquence une législation permettant de maintenir les populations de loups et de faciliter la réintroduction de cette espèce. Ces régions incluront les zones où le loup bénéficiera d’une protection juridique totale, par exemple dans des parcs nationaux, des réserves ou des zones de conservation spéciales ainsi que d’autres zones où les populations de loups seront modulées en fonction de principes écologiques en vue de réduire les conflits qui peuvent survenir avec d’autres modes d’utilisation des terres.

3.         Il convient d’établir des conditions écologiques favorables dans ces régions grâce à la reconstruction d’habitats adaptés à la réintroduction de grands herbivores.

4.         Dans les régions spécifiquement désignées pour la conservation des loups, un développement économique extensif susceptible d’être préjudiciable à l’espèce et à son habitat sera par conséquent exclu.

5.         Dans les programmes de gestion des loups, il convient d’interdire les poisons, les systèmes de primes de capture et la chasse motorisée.

6.         Il convient de prévoir le paiement d’une indemnité en vue de dédommager les victimes de dégâts causés par les loups.

7.         Une loi devra être votée dans chaque pays rendant obligatoire la déclaration de tout loup tué.

B.        Education

            Une campagne dynamique d’éducation sera lancée pour obtenir le soutien de tous les secteurs de la population grâce à une meilleure compréhension de la valeur des loups et de l’importance d’en assurer la gestion rationnelle. Les actions suivantes semblent particulièrement adaptées :

a. campagne de sensibilisation par la presse, la radio et la télévision ;

b. publication et diffusion à grande échelle d’informations et de matériel didactique ;

c. promotion des expositions, des exhibitions et des autres instruments adaptés pour l’information du public.

C.        Tourisme

            Le cas échéant, l’intérêt général du public devra être stimulé grâce à la promotion d’activités touristiques liées aux loups. (Le Canada a déjà mis au point de telles activités dans certains parcs nationaux et provinciaux).

D.        Recherche

Il convient de développer la recherche concernant les loups notamment en ce qui concerne :

  1. les études sur le statut et la répartition des populations de loups ;

b    les études sur les habitudes alimentaires, notamment l’interaction des loups avec le gibier et le bétail ;

c    les recherches concernant la structure sociale, le dynamisme des populations, le comportement général et l’écologie des loups ;

d.   les activités taxonomiques, notamment les études concernant une éventuelle hybridation avec d’autres canidés ;

e.   la recherche de méthodes de réintroduction des loups et/ou de leurs proies naturelles ;

f.    les études des comportements humains à l’égard des loups et de l’incidence économique de ces derniers.

E.        Coopération internationale

Il convient de prévoir un programme de coopération internationale comportant notamment :

a.   des réunions officielles périodiques des pays concernés par la planification commune des programmes, l’étude des législations et l’échange d’expériences ;

b.   l’échange rapide de publications et de toute information concernant la recherche, notamment en matière de techniques et d’équipements ;

c.   le prêt ou l’échange de personnel au niveau international pour permettre des activités de recherche ;

d.   les programmes communs de conservation dans les régions frontalières où l’espèce est menacée.